Je m’ennuie un peu de l’époque des VHS
...mais pas de l’espace monumental occupé par une collection de grosses pochettes
J’ai été plutôt silencieux la semaine dernière car je n’avais aucune illumination particulière à partager avec mon lectorat. J’espère que vous allez bien. C’est mon cas. En ce février où le temps s’étire comme un élastique particulièrement résistant, après un janvier qui m’a paru durer une éternité, je ne me lance pas dans les grandes découvertes intellectuelles, mais je visionne beaucoup de films de genre européens des années ’70, qu’on appelle affectueusement de l’eurotrash, que les parisiens appellent du Cinéma Bis, et que les vidéophiles tels que moi, à l’époque bénie des VHS et des clubs vidéo, appelions des grosses pochettes.
Il fut un temps où l’internet était tellement lent qu’il était impossible d’y visionner des vidéos en streaming. Il n’y avait pas tellement de sorties de films douteux dans des supports avantageux, comme les Blu Ray que nous connaissons aujourd’hui; si une œuvre ne faisait pas fièrement partie du répertoire international, et n’avait pas connu une estime des critiques, elle était uniquement trouvable dans d’obscurs rayons VHS de clubs vidéo de région, ou à la Boîte Noire, un endroit magique.
De nos jours, de multiples options s’offrent aux amateurs de cinéma libre, que ce soit par le biais de sites tels que Mubi, par l’achat de coûteses rééditions DVD ou Blu Ray, ou moins légalement, grâce à la générosité de l’internet.
À l’époque, il fallait bien souvent échanger des VHS par la poste avec d’autres collectionneurs, et les copies des films qu’on recevait étaient parfois copiées et recopiées, au point où il était difficile de distinguer les visages. C’était la seule façon de voir ces œuvres, alors bien souvent, on passait outre notre perplexité et on suspendait notre sens critique pour passer une belle soirée au cœur de l’incertitude cinématographique.
C’était un passe-temps risqué… pour nos rétines.
J’ai des histoires par dizaine en souvenir de ces années plutôt folles, où on invitait à la maison de purs inconnus pour des rassemblements festifs d’amateurs de cinéma alternatif, uniquement parce qu’on avait échangé à quelques reprises des VHS par la poste avec eux (j’écris «eux» non pas par pur réflexe de domination masculine, mais parce qu’il s’agissait à 99,9% d’hommes).
J’ai rencontré à cette époque des gens très particuliers, et toujours très intéressants. Gens avec qui je suis encore en contact, pour la plupart. Une passion commune pour Lamberto Bava, José Ramon Larraz ou Jean-Pierre Mocky, ça crée des liens assez forts.
J’ai même eu un co-loc qui faisait partie de notre petit cercle, et qui était aussi curieux que moi; il avait donc accumulé une impressionnante quantité de cassettes VHS, chose que nous avions en commun, et qui rendait difficile la Marie Kondo-isation de notre petit logis sur Fullum, près de l’Espace Libre. Il y avait des VHS partout.
C’Était bien avant le semi-embourgeoisement du secteur. Nous avions un voisin qui ne portait pas de chandail d’avril à octobre, et qui commençait presque chaque phrase par «C’pas pour être malcommode, mais…» Nous avions aussi une voisine assez criarde qui jouissait bruyamment, au point où on se demandait si elle se faisait torturer, surtout l’été avec toutes les fenêtres ouvertes. Cher Centre-Sud…
J’ai donc de beaux souvenirs de cette époque où je collectionnais obsessivement les œuvres mineures, et je dois avouer que je redécouvre un peu cet univers depuis quelques semaines. Cela impliquera donc que ceux qui me suivent sur Facebook seront exposés plus fréquemment à mes appréciations cinématographiques, et que j’en glisserai quelques-unes dans mes petites infolettres diffusées par le biais de Substack. Sorry, not sorry?
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Quelques liens intéressants cette semaine
· Un reportage de Radio-Canada sur la station Uapishka, un complexe scientifique Innu situé près du réservoir Manicouagan.
· Dans le New Yorker, un profil du controversé politicien républicain Matt Gaetz.
· Un article de La Presse sur l’inquiétant nouveau documentaire de Jérémie Battaglia sur les dérives de la culture du body building.
· Dans le Vanity Fair, la vie à bord d’un sous-marin américain qui sillonne les océans de ce monde pour évaluer les menaces militaires.
· Dans le New York Times, un reportage sur le Manhattan Property Clerk, le sous-sol new yorkais dans lequel se retrouvent tous les objets perdus et les pièces à conviction de la ville.
· Un article du Devoir sur les croque-livres de la province, qui sont de plus en plus souvent assez maganés par la vie.
· Dans le Walrus, un reportage sur les voyages en train, un moyen de transport qui ne semble malheureusement pas s’être adapté à notre époque au Canada.
· Un autre très intéressant reportage du New York Times, à propos d’un ranch familial en Arizona dont les propriétaires doivent vivre avec les contrecoups des activités des cartels et du passage de migrants.
· Une réflexion sur la mort de Navalny par Masha Gessen dans le New Yorker.
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Je vous menaçais plus tôt de vous abreuver d’avis sur des films risqués, en voici donc un.
Your Vice is a Locked Room and Only I Have the Key (1972) est le quatrième giallo de Sergio Martino, au titre qui fait rêver, et qui adapte très librement «The Black Cat» de Poe, dans l'univers pétri de sadisme, de fêtes délurées et de violence conjugale d'un couple italien.
Oliviero Rouvigny (Luigi Pistilli) a déjà eu du succès comme écrivain, mais c'est chose du passé: constamment en panne d'inspiration, alcoolique et en colère contre l’humanité entière, il habite une villa décrépite où il organise des fêtes auxquelles assistent des jeunes hippies résidant dans un camping voisin. Il n'est plus très fidèle envers sa femme Irina (Anita Strindberg) et la trompe, entre autres, avec une libraire qui a déjà été son élève. Lorsque cette dernière est attaquée puis tuée, les soupçons de la police se portent aussitôt sur lui. Sa nièce Floriana (Edwige Fenech) débarque au village pour passer quelques temps avec le couple, et les choses se compliquent.
Il y a beaucoup de personnages inquiétants et tordus dans ce giallo très coloré plein de relents psycho-sexuels, et les revirements de situation sont aussi surprenants que fréquents. Quand on sait qu’Ernesto Gastaldi a participé au scénario, ça ne nous étonne pas. Dès que le spectateur (moi) croit avoir compris de quoi il retourne, il se fait dérober le tapis de sous les pieds.
Ivan Rassimov joue un personnage qui rôde toujours dans les parages avec son expression indéchiffrable et ses cheveux impossibles, et la Floriana de Fenech multiplie les conquêtes. Satan, le pauvre chat, n’est jamais très loin.
L’aspect le plus déplaisant du film est sans doute l’étalage constant de valeurs douteuses, et souvent ignorantes; les personnages en beurrent assez épais au niveau de la misogynie et du racisme. Même s’il faut situer le film dans son contexte et son époque, ça demeure assez contrariant. Ça demeure tout de même un solide thriller, très divertissant, qui se joue habilement des conventions : Edwige Fenech, la plus grande star de l’affiche, n’apparaît qu’au bout de 32 minutes, et le tueur est révélé assez rapidement. C’est souvent les films avec les scénario les plus soignés qui nous laissent un souvenir impérissables – et pourtant, j’avais presque tout oublié de celui-là au bout d’une vingtaine d’années, à part la trame sonore obsédante de Bruno Nicolai. La redécouverte fut plaisante.
Super chronique ciné (encore)